J’étais dans la Marine

« Livre 3: Notre vécu en Algérie »

(extraits)


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Des faits marquent mon service militaire en Algérie.

Tout d’abord, avant le service, j’étais inscrit maritime au quartier de Saint Malo, comme mécanicien embarqué de la marine marchande ; de ce fait, je fus obligatoirement versé dans la marine nationale, comme appelé. Je me suis donc retrouvé, pour 3 mois, avec tous mes camarades à l’école des commandos fusiliers marins à Siroco (près d’Alger).

Voici les paroles du commandant au moment de l’embarquement, « Mes chers enfants, certains d’entre vous, malheureusement, ne reverrons jamais leur famille, sachez que sous chaque pierre des yeux vous surveillent ». Après analyse, c’était bien la réalité et ces leçons nous ont bien servi.

J’appartenais au 2ème Bataillon de Fusiliers marins, basé à Azzouna, mais j’ai été détaché au 3ème Bataillon basé à Bab El Assa, à une dizaine de km de la Méditerranée. Je me situais dans une zone montagneuse sur la frontière. Au pied de ces deux camps, nous avions une petite montagne (870m), mais elle était truffée de grottes et de galeries souterraines.

Notre rôle était donc la surveillance de la frontière algéro-marocaine sur une soixantaine de kms, depuis la mer jusqu’à Marnia. Il y avait sur cette distance des barrages constitués de lignes électrifiées et de zones minées avec une piste de surveillance pour que la herse puisse passer au milieu…

Je vais aborder les faits dont la vision me hante encore l’esprit et le souvenir me pèse toujours 40 ans après. Des patrouilles de reconnaissance longent le barrage électrifié entre Port-Say et Bab El Assa, où se tient l’état-major. C’est ce qu’on appelle « la herse » qui s’effectue de jour comme de nuit. Elle devient une mission dangereuse à partir du moment où les rebelles vont recevoir de l’armement en provenance des Etats arabes et de l’Europe de l’Est. De nombreux véhicules vont être détruits à coup de bazooka.

Entre anciens « inscrits maritimes » du cantonnement, quelques jours avant Noël 1961, nous avions fait une petite collecte afin d’améliorer le menu de Noël avec 14 collègues, comme moi, issus de la Marine Marchande. Etant chauffeur, je m’étais occupé des achats dans le cadre de mes déplacements. Nous faisions donc un extra à la tombée de la nuit. Mais, avec le crépuscule arrivèrent, par dessus le barrage du Maroc, les premiers tirs de mortier. Après avoir avalé notre dose de « tafia » (sorte d’élixir alcoolisé) qui donne le courage (ou l’inconscience) pour aller au feu, chacun rejoint son rôle dans le cadre d’une défense globale en cas d’attaque. Je prends mon half-track et rejoins le convoi de blindés qui prenaient, en pleine nuit, la direction de la piste située entre les réseaux. Pour cela nous roulions simplement guidés par les « black-out» des véhicules. Nos véhicules étaient équipés de mitrailleuses 12/7 et tiraient vers les lieux d’où partaient les tirs de mortier du Maroc…


Soudain, un éclair jaillit, puis une grosse lueur derrière notre half-track. Le convoi s’immobilise sur-le-champ et tire à outrance à 50 mètres derrière le barrage électrifié, lieu de départ de l’attaque. Derrière nous, l’half-track qui nous suivait à une trentaine de mètres avait été bazooké. Le chauffeur, le chef du véhicule et les cinq servants de mitrailleuses criaient, appelaient leur mère, ils étaient en train de brûler avec les 400 litres d’essence qu’ils avaient en réserve alors que nous étions impuissants à leur venir en aide. Nous lançons des appels radio demandant du renfort et une ambulance.

Peu de temps après vient une ambulance avec le chauffeur, le docteur, et l’infirmier. Arrivée à 200 mètres derrière nous, celle-ci est à son tour bazookée et il y avait trois tués de plus. Nous avions donc dix tués à la nuit de Noël 1961. Sept, des quatorze collègues de la Marine Marchande avec qui nous venions, il y a quelques heures seulement, de fêter Noël étaient morts, et comment ! brûlés vifs sous nos yeux !

Le plus dur pour moi, ce fut le lendemain de ces nuits tragiques (ce vrai cauchemar dura 6 mois). Alors que nous étions sur l’esplanade pour la levée des couleurs avec à côté de nous les corps de nos camarades roulés dans des couvertures, l’aumônier faisait l’éloge de ces camarades tués pour une cause, disons discutable !

Suite à d’autres faits constatés à cette frontière marocaine, des marins ont perdu courage et le moral et se sont suicidés plutôt que de retourner au combat, où d’être faits prisonniers. Personnellement, je m’étais toujours réservé une grenade quadrillée au cas où je devais être pris par les fells.

Par ailleurs, on parle parfois de la marine à cheval. Eh bien nous avions au camp 30 chevaux, des pur-sang arabes, qui nous servaient à faire ces opérations. Nous devions panser nos chevaux, les bouchonner, et soigner leurs sabots au mercurochrome à chaque retour d’opération…

Il a fallu apprendre à monter à cheval et savoir, cheval courant, tirer au fusil sur cibles. Ces opérations avaient toujours lieu le jour. Nous scrutions la montagne, rocher par rocher, crevasse par crevasse. C’étaient de braves bêtes, très obéissantes et très intelligentes, avec une mémoire hors du commun.

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