Les Dragons en petite Kabylie

« Livre 3: Notre vécu en Algérie »

(extraits)


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Les Dragons signalent avoir vécu une période difficile, risquée, et ce, « sans broncher ». Nous n’avions, il est vrai que 21-22 ans. Nos escadrons combattirent souvent et nous avons eu plus de cent tués au combat et de nombreux blessés ! L’accent est mis sur les noms de nos blessés, des disparus ou décédés en Algérie. Nous relevons les faits importants et marquants du séjour de jeunes appelés en Algérie.

En plus des actions militaires ou notre régiment, les Dragons avaient d’excellentes relations humaines avec les Maghrébins à Béni-Lalem, petit village kabyle perché en colimaçon sur une colline nue à quelques kilomètres à l’ouest de Zemmoura.


La réunion de la famille B. conclut que le choix de la France était le meilleur. Une bande importante de rebelles vint faire le siège de la mechta des B. Dans ce combat périt « Rabah », père de Mohamed et Areski, leur frère « Chérif » et l’oncle « Youssef ». Mohamed et Areski ne sauvèrent leur vie que grâce à un subterfuge osé. Les oncles Yaya B. et Lachmi B., prisonniers des assaillants n’ont jamais été retrouvés. Le combat de la mechta B. avait aussi fait de nombreuses victimes dans les rangs du FLN. C’était l’hiver 1956. d’où ce poème réalisé par le chef de peloton.


Areski, mon ami, mon frère.

Je ne te croyais plus de ce monde,

Tu es là, vivant, je ne peux me taire,

Le silence est rompu et mon intarissable faconde

Etonnera ta famille entière.

Tu vis... tu vis là, usé, silicosé,

Parmi tes amis de cette cité minière,

Où tu termineras tes jours sans jamais oser

Dire ta longue souffrance pour être français.

De Béni-Lalem tu t’es maintenant éloigné,

Tes souvenirs reviennent avec leur déchirure.

Dans mes photos, tu as revu les traîtres, et cette poignée,

Ce peu de braves autour de Mohamed ton frère, lequel sans fioritures,

Décida de rendre les armes à la France ; la tienne t’appartenait,

Donnée par Robert Lacoste, ainsi que celle de ton frère.

Sans une arme c’est le désastre, tu y tenais

Comme en ta vie, mais tous les donnèrent.

Mohamed fut le premier, et toi le dernier pour finir.

L’armée vous engagea, quelle aubaine !

Mais les vôtres étaient restés à la maison

A Béni-Lalem le fellagha n’avait pas l’allure hautaine.

Il était sage, calme, et vous aviez toutes les raisons

en pensant à votre famille, de vouloir les déménager.

Mais tout n’était que mensonge, le piège était habile,

l’ordre était de tout faire pour vous ménager

Il fallait vous faire venir dans votre village kabyle

Et ne pas toucher à un de vos cheveux,

Sauf, uniquement sauf, si vous arriviez tous les deux.

Le piège marcha, il ne fallait pas mieux pour vous nuire.

Prisonniers à Medjana, cette épreuve pour vous fut douloureuse.

Tu réussis une première fois à t’enfuir

Ta course fut brève, la suite affreuse.

Atteint d’une balle dans le bras, ils t’ont rattrapé,

Au couteau, ils t’ont taillé le bras, ils t’ont frappé.

Tu partageas cette souffrance avec Rabah le fidèle.

Avec lui tu pensais à nouveau à fuir ce cauchemar.

Les chances étaient minimes, mais pour toi réelles,

Tu y croyais très fort, Rabah épuisé en avait marre,

Marre de vivre, et ce soir était le dernier voyage

Sanguinolent, tout ton corps était meurtri

Tu n’étais pas homme à rester en cage.

L’heure du départ ne t’a guère surpris.

Tu calculas froidement ton évasion une nouvelle fois.

Dans le convoi de ton frère et des autres, tu pris la place convoitée,

Assis à l’arrière du véhicule, un gardien à côté de toi.

Il fallait réussir à tomber en arrière et se relever sans boiter.

Ton gardien tourna la tête pour regarder le faisceau des phares,

Tu basculas alors dans le vide, roulas et te retrouvas sur le côté.

Péniblement tu réussis à te redresser sans crier gare.

Tu pris la clef des champs, des champs de blé, toujours ligoté.

Tu rejoignis ensuite la route, tu connaissais bien le terrain.

Le poste de Medjana n’était pas loin, tu reconnaissais sa masse.

Derrière, la meute te poursuivait, quelques pas encore, et enfin !

L’ennemi était proche, proche sur ta trace.

La sentinelle française t’interpella !

Halte-là ! « C’est B. », tu réalisas qu’elle ne te connaissait pas

Alors tu fonças vers l’entrée du poste, et dans l’ombre tu basculas.

La sentinelle vida sur toi son chargeur.

Atteint, tous te crurent mort.

Un sous-officier s’approchant reconnut l’erreur.

Tu avais tout risqué, tu n’avais pas eu tort

Tu étais dans un poste français et là on te connaissait.

Il est mort ! Portons-le, il faut le rentrer.

Tes ennemis étaient convaincus que tu étais un trépassé.

Heureusement le tir avait été mal centré.

Tu t’en es sorti, soigné à Sétif, tu as terminé en France ton raid.

Tu penseras particulièrement aujourd’hui, comme nous-mêmes,

A nos martyrs, à mon ami le chef B. Mohamed,

tombé ce même soir pas tellement loin de Béni-Lalem

Un 6 août 1962

Tu as été des nôtres par reconnaissance.

Quelle idéologie pourrait alors te condamner ?

Tu es musulman de par ta naissance,

Et chez nous, tu as vécu comme un damné.

Pardon à toi et à ta famille pour nos offenses.

Tant de souffrance pour pareil accueil !

Qu’ont donc fait nos ministres de la défense

De leur reconnaissance, vous en avez fait le deuil.

Aujourd’hui tu es parmi nous mon frère,

Dans cette famille, nous sommes tous différents

Mais ici tu pourras te plaire.

De ce jour, si tu veux, tu seras notre seul adhérent,

Un adhérent d’honneur.

Tu seras parmi nous, ce que nous ne pouvons être.

Un air d’Afrique avec ses bons et mauvais souvenirs

Où nous savons pour y avoir traîné nos guêtres,

Que c’est dans les mauvais moments qu’il faut se soutenir.


Marcel Delarue

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