Histoires vécues

«SOLDATS DANS LA GUERRE D'ALGERIE »
(extraits)

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Anecdotes: Nos contacts avec les colons, de Jean-Louis C... « J’étais secrétaire au P.C. du colonel. Je me souviens de la première note de service que j’ai tapée à la machine pour être diffusée à toutes les compagnies. C’était une mise en garde à nous autres appelés du contingent en Algérie. Le colonel expliquait que les vignes des colons étaient gardées par des employés qui empêchaient de grappiller le raisin. Il nous était fortement recommandé de ne pas entrer dans les vignes, sinon nous risquions de recevoir des plombs de gardiens armés de fusil de chasse ! ! ! Charmant accueil ! »
il poursuit : En « oct. 1955, nous étions stationnés au Maroc. A cinq ou six chasseurs, nous allions, avec deux véhicules, au ravitaillement à Oujda. Lors du casse-croûte à midi avec nos boîtes de singe et du gros rouge, un Pied-Noir vint nous voir et nous offrit du fromage et du vin. Nous étions très contents et ça nous a mis un peu de baume au coeur. »

Extraits de la page 79. Une naissance, par Victor L... Le contact avec une civilisation différente de la sienne est toujours curieux et passionnant. Je m’en vais raconter un accouchement pour le moins original dont je fus le témoin dans une mechta d’Oum-Kdhrid... L’événement se déroulait par un soleil de plomb, vers le milieu du jour, nous venions tout simplement visiter ce village :
Des cris aigus, râles et hurlements mêlés attirent notre attention. On égorgerait quelqu’un qu’il n’y aurait rien de surprenant !
Nous cernons la mechta avec les précautions d’usage. Il faut s’attendre à tout... Puis, dès que les tireurs sont en couverture, nous nous précipitons dedans. La salle de torture a un curieux aspect... Dans un coin, sur une natte, une vieille sans âge a l’air de rythmer de hochements de tête, quelque mystérieuse incantation... mais le spectacle est ailleurs. Une femme assez jeune est suspendue à une branche du toit, retenue sous le bras au moyen de chiffons noués les uns aux autres, tel un harnais de fortune. C’est elle qui crie et geint, proférant des râles gutturaux. Le bas du corps dénudé, elle est secouée de contractions, tandis qu’une sueur abondante l’inonde. C’est un autre Bethléem ...
 

Extrait de la page 80: Un mariage, par Victor L... « Les filles sont l’objet de marchés plus ou moins substantiels entre parents. La fille, séquestrée et voilée jusqu’au mariage, ne verra jamais son futur époux. C’est le père de celui-ci qui viendra négocier la main de la bru auprès de son père. Ce dernier se lance dans d’interminables palabres au sujet de la dot, laquelle devra être d’autant plus conséquente que la fille est belle, et surtout vierge. Ce sera de l’argent, ou des bijoux, ou des moutons, ou du blé, ou des poules, ou des étoffes... Si la fille a perdu sa virginité, elle n’a guère de valeur...

Extrait de la page 88: Le boucher donne sa leçon, par Désiré C... « Nous marchions fréquemment dans le djebel. Un jour, au retour d’une patrouille de jour, nous voyons plusieurs fellahs réunis pour sacrifier un mouton. A leur approche et voyant leur dessein, nous les laissions faire et les regardions tuer l’animal dans les règles de l’art musulman. En effet, ils le saignèrent selon leur rite, face à la Mecque. Le groupe reprit sa marche mais l’un d’entre nous eut une idée originale et nous restions à trois ou quatre copains par curiosité mais surtout pour sa sécurité. Il pensa faire une démonstration de découpe de la bête et la débiter à la mode d’un professionnel, puisque c’était notre boucher, et il l’était aussi dans le civil. Nous avions réussi à nous faire comprendre sans connaître leur langue. Aussitôt, notre ami se mit à l’oeuvre en disant à ses collègues de veiller à la sécurité des lieux, car ...

Anecdote: Lieux d’aisance. Par André R... (p.143) « Non, ce n’est pas la vie de château dans le bled algérien : les gardes nocturnes, les embuscades, les opérations et le « crapahut », les coups de gueule des gradés, le vin au bromure et la cuisine qui n’était pas du tout aux petits oignons...Mais la chose à laquelle j’eus le plus de mal à m’habituer, ce fut, sauf votre respect, les chiottes ! Ah ! Les chiottes, mon Colon, les chiottes !
C’était une construction en planches toute en longueur au bord d’un pré, bien ajourée par deux ou trois fenêtres. A droite, en entrant, une estrade avec un trou tous les cinquante ou soixante centimètres, sous chaque trou un grand bidon que vidait chaque semaine l’inévitable corvée de chiottes : c’était l’exutoire de notre batterie d’artilleurs. Du simple soldat au capitaine, chacun venait poser ses fesses, à un moment ou à un autre de la journée, dans ces lieux rustiques et conviviaux. La première fois que j’y allai, j’entrouvrais timidement la porte...

Extrait de la page 174. Le contestataire : Désiré C... Un appelé de notre section, très engagé sur le plan politique militait au parti communiste ; de plus souvent râleur réussit un jour à racoler, disons à noyauter, quelques gars de notre groupe à ses idées. Il avait sans doute ses raisons car il en avait vraiment marre de toutes ces marches sans fin dans le djebel, il en avait assez de braver la soif, la fatigue, ce mode de vie, et tous ces risques de « merde » disait-il. Aussi un jour, lors d’un arrêt, cette petite équipe décida de prolonger la pause ; ils dressèrent leur fusils en faisceau, puis s’allongèrent sur le sol attendant la réaction du jeune lieutenant...

Extrait de la p. 186. La nourriture : Victor L... « Les boîtes de rations, faisaient partie de notre équipement au même titre que notre arme qui ne nous quittait jamais. Dans ces boîtes, un menu savamment étudié par quelque miteux diététicien, de quoi contenter un moineau en retraite...
Mais quand on a faim, tout est bon... Je me souviens, dans mes débuts d’A.F.N., d’une mémorable chasse au chacal, ce chien sauvage aux cris lugubres qui ressemblent aux vagissements d’un bébé, qui se nourrit de charognes et du contenu des poubelles... Nous l’avions pris un soir dans le pinceau des phares d’une A.M. et l’animal, traqué, hypnotisé par la lumière, était comique à voir. Une rafale de 30 mit fin à ses jours. Ce fut un festin de roi.
Je ne compte pas les poules auxquelles nous avons fait la fête, quelques-unes furent rôties à la broche, s’il vous plaît, sur une manivelle de Jeep...

Un autre problème : la soif. Nos lourds équipements, sous un soleil de plomb, nous déshydratait à vue d’oeil. Il m’est arrivé de boire jusqu’à huit litres d’eau dans une journée... Tout était bon : eau bourbeuse des oueds, eau saumâtre des marigots, le tout purifié au grand galop à l’aide des pastilles au chlore dont nous ne nous séparions jamais... Ce qui n’empêcha pas de mémorables coliques qu’il fallait soigner au pas de course. »

Anecdote : Ma permission. Yves. D... « J’ai eu ma « perm » plus tôt que prévu à cause du mariage de ma soeur. En Algérie, nous prenions d’abord la mule, puis le GMC, le train, le bateau. La traversée s’effectuait sur un vieux rafiot qui faisait, semble-t-il, son dernier trajet, et je suis arrivé le lendemain du mariage ! Puis il a fallu repartir pour 18 mois sans discontinuer! » (jusqu’à la quille !)

Anecdote. Le train pour l’Algérie : Michel P... « En 1960, lorsqu’arriva le tour de notre classe pour l’Algérie (59 2/A), il nous fallut du temps pour atteindre Marseille ! D’abord, nous ne roulions que de nuit, de plus, nous étions des gens peu pressés d’aller là-bas. Les appelés n’avaient jamais demandé à y aller ; alors, certains s’étaient arrangés pour bricoler les crochets d’attelage des wagons, aussi fallut-il l’intervention d’agents des chemins de fer pour tout remettre en état. Quelque instants après, quelqu’un tirait sur la chaînette « arrêt d’urgence ». Des responsables voulaient savoir qui avait fait cela, mais bien sûr personne n’en savait rien. Mais la pire des situations, ce n’était pas à Angers ou au Mans, mais à Avignon. A partir de là nous étions bien « protégés » par les CRS et également bien « encadrés » à Marseille. »
 

Anecdote. La vie des unités dans le Bled. Copie « in extenso » d’un compte rendu adressé au Lieutenant - Colonel Commandant le quartier de Souk-Ahras.
« J’ai l’honneur de vous rendre compte d’un accident sans gravité, survenu le 19 août 1960 vers 9h30, à 200 mètres au nord de la ferme Révillard.
L’A.M.8 N° 838 809, conduite par le soldat Morison, et ayant à son bord le soldat Ducourthial est entrée en collision avec un âne. Le blindé n’a pas souffert. L’âne qui paissait en liberté sans gardien, est très sérieusement touché. (Décédé vers 10 h10 de suites des ses blessures.)
Son propriétaire n’a pas encore été identifié. L’accident ne peut être imputé au conducteur de l’A.M. Il revenait tranquillement de l’aire de lavage, à 300 mètres du cantonnement, et roulait à vitesse très réduite. Seul, l’âne est responsable. Avec la stupidité qui caractérise cet animal, il est venu lui-même se placer sur le parcours de l’A.M. »
 Signé : X***
 

Extraits p.271. Un bain de minuit : Victor L.... J’insère ici un épisode plutôt cocasse, qui faillit se terminer de façon tragique. A force de côtoyer le danger, on finit par en prendre l’habitude, en allant jusqu’à le braver...
« Le campement d’El-Arrouch était installé à flanc de colline. Une piste en lacets, rocailleuse, défoncée et poussiéreuse à souhait, conduisait, au bout de 800 mètres, à une sorte d’oasis verdoyante où coulait un oued encaissé dans lequel nous aurions aimé patauger si nos occupations d’un tout autre ordre nous en avaient laissé le loisir... Nous nous trouvions alors dans un moment et dans un lieu de totale insécurité, l’oued étant un important lieu de passage, surtout la nuit, des « Guérilléros fells ». De ce fait, le cantonnement était l’objet d’une surveillance attentive. Cinq mitrailleuses de 50, en batterie, en balayaient tout le périmètre.
Les occasions de se défouler étaient tellement rares que la moindre suggestion dans ce sens était accueillie avec la satisfaction que l’on devine... Il était peut être 23h30. Nous sommes quatre sous-officiers dans une guitoune placée à périphérie du camp. La chaleur est oppressante. Pas moyen de dormir... Une idée me traverse l’esprit : Si nous allions prendre un bain de minuit ? Dans la plus pure tradition, bien entendu à poil ! Le « bikini » n’ayant d’ailleurs pas été prévu dans notre équipement. L’idée trouve une audience plus que favorable...

(Extrait de la page 296). Un autre cas concret, une pénible histoire, de Pierre R...
Un jour, il y avait une inspection des armes dans les chambrées des deux sections de combat. Il y avait un gars de mon département qui s’appelait Paul C... En France, nous habitons à une dizaine de kilomètres l’un de l’autre. Il avait été muté dans notre commando de chasse par discipline, je ne sais pas pourquoi, cela ne me regarde pas. Mais comme c’était un gars de mon pays, c’est avant tout et immédiatement un copain. Avant la revue d’armes nous nous croisons dans la cour et il me dit : « si tu veux on boira un coup ensemble après la revue. »- « Pas de problème lui dis-je et quand tu seras libre, tu frappes à la fenêtre de mon bureau et j’irai trinquer avec toi. »
Dix minutes après, j’entendis deux rafales qui venaient de sa piaule et aussitôt des cris de douleur car quelqu’un hurlait atrocement.
Je sors immédiatement et je vais dans sa chambrée. Qu’est-ce que je vois !, mon ami Paul écroulé dans un bain de sang et qui hurlait, ce n’était pas beau à voir. La première rafale lui a complètement coupé le bras droit à hauteur du coude et il reçut l’autre dans le bas ventre. Les intestins sortaient. Bien vite l’infirmier est venu et je lui ai prêté la main pour essayer de bander tout ça ; c’était très pénible, puis....
 
 

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