«SOLDATS DANS LA GUERRE
D'ALGERIE »
(extraits)
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Du 14 avril au 1er mai 1955 : l’opération « Béni Melloul » sous les ordres du colonel Ducourneau se solde par un piètre bilan malgré tous les efforts déployés. Ceci démontre que la tactique utilisée n’était pas la bonne. L’emploi de gros bataillons ne peut donner de bons résultats, d’où une remise en cause de la guerre traditionnelle.
Anecdotes : Ambroise P... « J’ai participé
à beaucoup d’opérations, j’ai souffert de la chaleur et de
la soif. J’ai bu de l’eau des oueds et une fois il y avait une vache crevée
en amont ! Une autre fois, revenant de Colomb-Béchar j’ai eu une
grande frousse lorsque le train tomba en panne à la tombée
de la nuit ! Nous devions garder les yeux bien ouverts et rester sur le
qui-vive en attendant l’arrivée des secours. Durant six mois, à
cinq personnes, nous assurions la protection de convois. Nous avions peu
de confort dans ce wagon blindé équipé de créneaux
de défense.
Par ailleurs, treize de mes copains ont été tués
lors d’une embuscade et j’ai été à leurs obsèques
à Oran. Les cercueils furent descendus du GMC et nous leur avons
présenté les armes. Comment ne serions-nous pas marqués
à vie par tous ces événements et instants douloureux
au coeur de notre jeunesse ? »
Disparus en Algérie :(p.155)
Nous faisions des stages de formation et six de mes copains le réalisaient
à Sétif, lorsqu’ils ont été enlevés
par le FLN. Depuis nous ne savons pas ce qu’il sont devenus ! Ils figurent
parmi les 370 prisonniers disparus ici répertoriés, dont
mon meilleur copain René Crenn (p . 350.)
30 janvier 1956. La 1ère section de la 13e compagnie , au cours d’une reconnaissance, se fait accrocher dans la région de l’Oued Taffeur. Il n’y a pas de perte. Le lendemain, elle retourne sur les lieux de l’accrochage, des rebelles s’enfuient, mais 15 fusils de chasse seront récupérés. Au cours du regroupement de la compagnie, on constate la disparition du caporal-chef Raulet et du Parachutiste Ségot-Chic. Les recherches minutieuses menées ainsi que le lendemain, demeurèrent vaines et les deux disparus ne seront jamais retrouvés.
Suite à cette guerre d’Algérie, il y a une catégorie de gens dont personne ne parle, il s’agit des soldats français, prisonniers du FLN, disparus là-bas et il en existe plusieurs centaines!
Le 13 novembre 1956. Les exactions rebelles se poursuivent
dans les fermes de la région de Guillaumet et contre les cars, tels
le car « Hassan » sur la route de Tiaret, et le car «
Pérez » près de Ammi-Moussa. Ce dernier était
conduit par son propriétaire lui-même, les rebelles l’ayant
attaché à son volant, il fut brûlé vif dans
son véhicule. Le lendemain soir, ce sont les fermes Mollard, Chauvet
et Montgobert qui furent visées : tous les moutons sont égorgés.
Un ouvrier musulman des Chauvet eut également la gorge tranchée.
M. Montgobert trouvait quinze de ses mulets brûlés vifs, attachés
dans leurs stalles. Ces actes de barbarie ne pouvaient que provoquer l’indignation
de tous.
Devant tous ces actes d’ignominie, la guerre « propre »
va peu à peu dégénérer, car il faut être
un héros, ou un saint, disaient certains, pour rester serein dans
un tel contexte. Dans le merdier où l’on nous avait plongé
sans la moindre préparation, est-ce aux soldats du contingent qu’il
faut jeter la pierre, où aux politiciens qui tirent les ficelles
?
Anecdote: Pilote de Piper, je fais un prisonnier, de Georges P..., « Je rentrais en fin de journée opérationnelle en survolant à basse altitude l’oued Isser, mon observateur était le sous-lieutenant BUSSAC. Nous passons sur un petit coude de la rivière surmonté d’un petit promontoire, au pied duquel deux paras se baignent les pieds, la Jeep à côté. Mais, au même moment, je repère sur le promontoire quelqu’un caché derrière un buisson. Je l’explique à mon observateur et nous convenons de continuer en préparant un message que nous lancerions dans un tube, spécialement fait pour cet usage, aux paras. Ce qui fut dit, fut fait. Demi-tour, nous revenons « sur nos pas », larguons le message. Message bien reçu : « on s’habille et on y va ». Re-demi-tour plus loin, et passage en « ras-da-da » sur le promontoire. Le fell part en courant avec son fusil, mon officier observateur sort sa carabine et tire deux balles, la seconde juste devant les jambes du jeune homme... Quel bol ! L’individu s’arrête de courir, lève les bras et les deux paras qui arrivaient sur la colline le cueillent. » Ce sera mon premier prisonnier..., car j’en ai fait un autre ! Avec un hélicoptère.
Le 19 avril 1957. (p.169) et le 30 avril 1957 ( p.171), des coups
durs attendaient le 31e GCP.
Ces deux journées, particulièrement meurtrières,
avaient donc provoqué à elles seules 21 morts au 31e GCP
qui perdra 73 hommes durant tout son séjour en AFN. La correction
et le « fair-play » relatifs avec lesquels les opérations
étaient menées jusque là allaient en prendre un sacré
coup ! Avant avril, on parlait de pacification, et on y croyait. Après
avril on en parle encore, mais le coeur n’y est plus. Dans d’autres secteurs
d’Algérie d’autres appelés se frottaient aussi et très
durement à la rébellion.
Du 20 au 22 septembre1958. Opération en petite Kabylie, dans la région de Bougie afin de rechercher le chef rebelle Amirouche. Il ne sera pas trouvé, mais son P.C. est découvert ainsi qu’un charnier où se trouvent les cadavres de plusieurs centaines de gens à soupçon qu’il avait fait liquider.
Anecdotes : Guy R... « Après 15 mois à Angers, vers le 20 juin 1959, un petit détachement de cinq militaires fut prévu sur Marseille pour aller faire le planton devant une chapelle ardente. Je faisais partie du lot. Beaucoup de cercueils venaient d’Algérie. D’autres étaient déjà stockés là et nous vîmes vingt cinq nouveaux arriver. Nous nous posions avec angoisse la question de ce qui nous attendait de l’autre côté de la Méditerranée ! »
Le 18 juillet 1959, Actions du 1 / 2e RIMa, au col de
Chellata, au cours de l’opération « Jumelles », par
Pierre D... Nous eûmes beaucoup d’accrochages. Le jour, nous participions
aux opérations et quand arrivait la nuit nous allions tendre des
embuscades. Nous parcourions plusieurs dizaines de kilomètres avec
notre sac à dos de 15 kilos et plus, avec notre arme et nos munitions.
C’était très dur. Il faisait parfois supporter une forte
chaleur, et en plus, la guérilla nous obligeait à toujours
faire attention. L’ennemi pouvait se trouver n’importe où. Quand
nous passions dans les villages, souvent, il n’y avait que femmes, enfants
et vieillards ; personne ne parlait ; quand nous étions plus loin,
on nous tirait dans le dos.
L’embuscade : Francis B... Nous avancions donc dans
le djebel, dans la région de Bou Saâda. Les rebelles nous
avaient repérés en premier et nous attendaient. Ils étaient
bien cachés dans les fourrés, derrière les rochers.
Ils protégeaient les grands contours du territoire d’Amirouche.
Arrivés à cinquante mètres, nous fûmes surpris
par des rafales meurtrières qui avaient aussitôt fauché
deux appelés. Ils furent tués avant qu’ils ne puissent comprendre
ce qui se passait. La compagnie réagit aussitôt et les rebelles
se replièrent. Combien de personnes avaient-ils laissées
sur le terrain ? combien de blessés avions-nous ? Je ne m’en souviens
pas. L’effet de surprise et les deux copains tués restent figés
en ma mémoire.
26 septembre 1959: Nous capitalisons un accident de
plus. Un camion Simca tombe dans un ravin sur la route de Bougie à
Sétif. Dans cet accident nous avons deux tués et dix blessés.
Pénible anecdote, de Pierre R... (extrait). Lors d’une autre sortie, un appelé se fit tuer en posant son pied sur une mine. Il fut déchiqueté jusqu’à la ceinture. Terrible coïncidence, ce même jour il recevait un télégramme lui annonçant qu’il était père d’un deuxième enfant. J’imagine le choc que reçut sa femme quand elle eut le télégramme annonçant le drame, ou lors de la visite du maire lui annonçant la nouvelle ! Je me rappelle que ce gars-là, sur le paquebot Marseille-Alger, me disait : « Moi, je ne serai pas longtemps en Algérie parce que je suis marié et ma femme attend un 2ème gosse ». Il ne pensait certainement pas qu’il aurait fait le retour en France dans un cercueil !
Anecdote, extrait de la page306 : En patrouille de nuit,
par Pierre R... Nous allions à cinq personnes, à cinq
kilomètres du camp aux carrefours des piste, monter une embuscades.
Ce n’était pas la joie ! Il s’en est fallu de peu que je ne revoie
plus la France. J’avais dans mon équipe trois algériens dont
le caporal avec cinq années d’armée et un autre européen
comme moi. Tout en allant vers l’endroit prévu, déjà
le caporal qui était en tête se méfiait et, je ne sais
pas pourquoi, il s’arrêtait souvent pour écouter ; il était
toujours à l’affût. Il me disait : « j’entends quelque
chose », il est possible que ce soient des chacals.
Et bien non ! A l’endroit prévu, nous tombions sur les fells
; grosse surprise d’un côté comme de l’autre. Heureusement
que j’avais mes arabes. Ils ont parlé ensemble et tout d’un coup
je l’aperçois qui sort son poignard et au travail, pas question
de tirer à la mitraillette, on aurait pu s’entre tuer, il fallut
jouer à l’arme blanche. Je reçus un coup dans la fesse gauche
jusqu’à l’os, ça m’a fait mal sur le coup, mais il y avait
trois morts de leur côté et de notre bord je fus le seul blessé,
mais je pouvais encore marcher. A l’accalmie, nous faisions ...
Extrait de la p.240. La nuit infernale du 27 au 28 novembre 1960
au Bordj de Sakiet : (frontière tunisienne), de Claude B... Notre
ami Gaillard était de garde et au lieu de vider le chargeur de la
mitrailleuse sur les silhouettes qui ciselaient les réseaux de barbelés,
il s’obligea à mettre le Bordj au courant en dévalant les
escaliers de bois « quatre à quatre », au passage, à
la neuvième marche, il se tordit une cheville. Il courut au milieu
de la cour du Bordj et s’arrêta pour lâcher deux ou trois rafales
de son P.M. en criant : « alerte ! Alerte ! Les fells ! »...
Par ce harcèlement général, sur les cinquante
soldats du poste, il en restait une douzaine de valides. Et c’est là
que j’ai été blessé : gazé (roquette au phosphore),
il n’y avait pas de masque à gaz, ni de protection spéciale
; je devins complètement sourd (acouphènes). Début
1961, j’ai eu deux greffes aux tympans au Val de Grâce. Depuis j’ai
retrouvé un peu l’audition, mais c’est très irrégulier.
je devins aveugle complet durant un mois, avec un retour progressif à
3/10e.
Extrait de la p. 260 et suite. La 4/15.2 ou la nuit de 20 au 21
février 1961 à la frontière tunisienne : Michel
C... La nuit tombe. Comme tous les soirs, la compagnie se rassemble,
lourdement chargée de son paquetage de nuit, de ses armes et munitions.
L’embarquement s’effectue par équipes de blockhaus et, au signal,
les véhicules grinçant et cahotant sur la piste défoncée
s’en vont vers le barrage déposer leur « cargaison ».
Devant chaque blockhaus, le G.M.C. s’arrête, laisse descendre les
habitués de la station... Nous nous installons pour la nuit. Les
armes sont mises en place, essayées, les contacts radio et téléphoniques
sont pris avec les chefs de section et le P.C. Le tour de garde est établi.
Chacun se prépare à...etc...etc...
Tout est calme, lourdement calme, mais qu’importe ! Nous avons l’habitude.
nous ne comptons plus les nuits passées sur ces mêmes lieux,
dans les mêmes conditions...
Puis, tout à coup, à 21h30, le blockhaus du PK 33.8
commandé par le sergent signale des bruits suspects derrière
le réseau de préalerte. Partout, la vigilance redouble ;
les moindres bruits de la nuit sont analysés. Une demi-heure plus
tard, les bruits se confirment, s’amplifient. Une mine éclairante
bondit et projette un éclair dans la nuit. Un tir de mortier, immédiatement
déclenché, vient rompre alors le silence, et ces explosions
seront les premières de cette nuit qui sera désormais «
la nuit du 20 au 21 février ».
Mais d’autres mines éclairantes sautent le long du réseau
de préalerte. Tout le monde est en éveil, scrute l’ombre,
fouille du regard les zones éclairées par les projecteurs,
les éclairantes et les fusées. Brusquement, une rafale d’arme
automatique part d’un blockhaus. Comme si chacun attendait ce signal, d’autres
lui répondent, se pressent, se font plus serrées. Les traceuses
dessinent des paraboles lumineuses par dessus le réseau, se croisent,
bientôt accompagnées de l’arrivée de projectiles adverses
; puis tous les bruits se mêlent dans le fracas de toutes les armes
: mitrailleuses, grenades, mortiers, roquettes, canons sans recul. Mais...
Extrait des pages 121 / 128 Un récit vivant et exemplaire
par le Docteur Jean B...,
« Mes activités se résumaient au début,
en Assistance Médicale Gratuite jusque dans les zones les plus reculées.
Je pense notamment à Ouled-Taïr, près de Mélouzza
de triste mémoire, puis au lieu-dit Ouaglat-Troudi où mon
successeur, le médecin sous-lieutenant Jacques VILLARET, devait
être égorgé. Rapidement muté au « Col
des 4 vents », sur la ligne MORICE, les interventions sanitaires
liées aux harcèlements et aux accrochages en zone interdite
prirent le pas sur l’A.M.G. » ....
Anecdote : Emile J...(1961). Quelques jours avant la quille, nous fêtions notre imminent départ dans les bureaux de la pacification au mess du P.C. La fête se termine tard dans la soirée après le couvre-feu. Nous reprenons le chemin du retour. Au fur et à mesure que chacun arrive à son bureau chacun entre en son « chez lui ». A la fin du trajet, arrivés à quelques mètres de notre chambre près du quartier arabe, il ne restait plus que deux personnes : un copain, Michel R..., et moi-même. Soudain, dans le haut d’une côte, arrivent sur notre gauche, sept ou huit personnes en treillis qui nous entourent et se mettent à parler en arabe entre eux. Il s’agissait de fells ! Les seules paroles qu’ils ont adressées à notre encontre et que nous avons comprises : « laissons-les, ce sont des appelés. » Qu’est-ce que cela voulait dire ? Que nous avions risqué le pire ? De nous retrouver parmi les français prisonniers du FLN ou ...
Pendant ce temps-là : Poursuite des négociations secrètes
avec le GPRA, jusqu’aux accords d’Evian. De Gaulle lâche peu à
peu tout ce à quoi il tenait, dont Mers el Kébir et le Sahara.
A Bougie, un musulman nous dit : « Mais vous, les Français,
vous êtes des lâches puisque vous ne vous battez pas pour garder
l‘Algérie à la France. » Que voulez-vous que nous
leur répondions?
En avril, mai et juin 1962, il y a des horreurs à travers l’Algérie
dont à Oran, mais la radio n’en parle pas, sans doute pour ne pas
informer l’opinion métropolitaine. On ne signale que le centième
des enlèvements et le FLN ne cache même plus sa détermination
de tout massacrer. Les enlèvements et massacres quotidiens de Français
continuent, mais les journaux n’en parlent pas et font croire à
la réalité d’une trêve que le FLN ne respecte pas.
Ceci correspond à des actions médiatiques françaises
à l’attention des Français. Mais on assiste à des
actes de désespoir de l’OAS et diverses manifestations de masse
ont lieu : le 22 mars ; Bab El Oued du 21 au 23 mars ; Alger, à
la rue d’Isly, le 26 mars et actions « Apocalypse » de l’OAS.
Nous étions les vainqueurs, de Gaulle nous met K.O, vaincus !
Quel français accepte la défaite, sans s’être battu
?
« La liberté n’est possible que dans un pays où
le droit
l’emporte sur les passions.»
Lacordaire, «Lettres »