« Militaires français prisonniers du FLN : revenus ou disparus en Algérie »


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AVANT PROPOS

Disparu…Les disparus…

Disparu, porté disparu…. Une formule administrative sèche et brutale qui qualifie un état, une situation qu’on ne veut dans l’instant ni admettre ni accepter : une absence, une perte qu’on veut, envers et contre tout, provisoire parce que on refuse la réalité d’autant plus douloureuse qu’elle est brutale et, hélas, souvent définitive…

A une période de ma vie j’ai été un disparu, quelqu’un qui, comme d’autres, en l’espace d’un temps très court est passé du stade de vivant à celui de « présumé vivant ou mort »… Quelqu’un à qui on a attribué le qualificatif de « enlevé par des rebelles »… Vivant ?  Mort ? On ne sait pas. Alors on dit : « disparu »…

Mais cette appellation de disparu et cette catégorie « administrative » dans laquelle on m’avait provisoirement classé je n’en étais pas conscient lorsque avec mon camarade Joël nous marchions à très vive allure dans le maquis kabyle, otages entraînés de force par un commando de fellaghas vers le P.C. du fameux et sinistre colonel Amirouche, chef de la wilaya 3 de Grande Kabylie… c’était en janvier 1959…

De fait, nous étions encore des  « vivants » plus préoccupés à survivre qu’à philosopher sur la manière qu’avait l’Administration de considérer notre disparition…

Disparus… pour nos parents, pour nos familles, cela n’avait pas du tout le même sens… Disparus en Algérie, un territoire en pleine insurrection, en pleine guerre, cela voulait dire que nous étions peut être morts, assassinés et que nos cadavres gisaient dans un coin de forêt… sans sépulture même anonyme. Aucune information pour ces familles éplorées, sinon les quelques lettres officielles dans lesquelles les autorités s’efforçaient de leur donner confiance avec des propos et des affirmations qui n’arrivaient pas à cacher la réalité… Nous étions disparus… Peut être encore en vie, ou plus vraisemblablement morts… Dès l’annonce du drame leur vie devenait un trou noir… Le néant…

La cruauté extrême de la situation d’un disparu vis-à-vis de ses proches, c’est que ceux-ci ne peuvent être sûrs de sa mort… Ne peuvent jamais être fixés sur son sort…

Comment faire avec cette incertitude ? Avec cette douleur indicible et impuissante infligée à ces familles, avec ce doute permanent qui taraude leur esprit quant à la fin dramatique ou la survie douloureuse de celle ou celui qu’ils aimaient… qu’ils aiment, et qui se trouve quelque part entre les mains de ravisseurs insensibles et cruels.

Disparu… plus que pour la victime, le mot est symbole de tourments et de cauchemars permanents pour les vivants qui espèrent envers et contre tout un improbable retour de l’être cher et aimé, un fils, un frère, un mari ou un père…

Vivre avec ce doute permanent qui ronge l’âme et la prive de cette paix intérieure indispensable pour « faire le deuil » de celle ou celui qui n’est plus présent.

Douleur aussi terrible et suprême que celle de ne pouvoir se recueillir sur une tombe parce qu’elle est vide…

En octobre 2004 j’ai participé à un colloque sur « Les disparus en Algérie pendant et après la guerre »… Les témoignages des familles, 50 ans après attestaient d’un Mal que rien ne pouvait apaiser… J’en ai été bouleversé, moi, un disparu revenu par chance à la vie…

Le livre de mon ami Jean-Yves Jaffrès est un ouvrage exceptionnel. Cette enquête fouillée et détaillée qui exprime tant de compassion et de souci de vérité a une conséquence immédiate qui prévaut sur toute autre. Elle sort de l’oubli ces compagnons perdus, leur donne enfin la place qu’ils méritent désormais, qu’une administration sans cœur leur refusait depuis tant d’années.

Avec mes quatorze compagnons morts et disparus dans la forêt de l’Akfadou, avec Joël, Michel, Jean et tous les autres, Ils sont devenus des  « Témoins pour La Mémoire ».

 

René Rouby, Ancien prisonnier du F.L.N.







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