Histoires vécues

extrait de

« La vie de soldats bretons dans la guerre d'Algérie »

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Nos débuts en Algérie

Histoires / Péripéties de Michel D.
A vingt ans, j'étais volontaire voire téméraire. Aussi, je demandais d'aller en commando para. Mais bien des surprises m'attendaient et je connus vraiment la peur. Un jour, nous partions à quatre-vingts baroudeurs, nous revenions à quarante-sept des combats, malgré la coopération des légionnaires !
 

Des embuscades

Histoires / péripéties de Maurice B.
Nous roulions entre Sidi-Mimoum et Balloul, au sud de Mascara, dans l'Oranais, là où le Tiffrit coule. Une embuscade en fer de cheval nous attendait, avec un F.M. situé de face, les falaises des deux côtés et l'oued au fond du ravin. Nous étions pris au piège comme des rats ! Pour corser le tout, trois cents fells veillaient et nous attendaient depuis deux jours, quelle foule! Le 18 juin 1958, c'était plutôt  « chair de poule »!
La compagnie, située à six kilomètres, levait les couleurs et entendit les mitraillettes. Elle est vite venue encercler ces feux champêtres. Par chance, l'embuscade fut déroutée par le passage inopiné d'un avion, un piper de reconnaissance, là, dans le périmètre. Il provoqua une certaine inquiétude chez les rebelles. Ils devaient penser que l'alerte était déjà donnée.
Nous commencions à relever la tête du fossé où nous étions, mais pas de retraite car leurs balles miaulaient encore au-dessus de nos têtes et nous menaçaient jusqu'au moment où le calme vint des gâchettes. Les Fells se repliaient. Ce fut l'heure du bilan de la triste fête. Nous avions seize tués auprès de l'oued ! Sur trente-deux soldats, nous comptions neuf rescapés anxieux, attentifs avec un regard encore craintif, et nous relevions sept grands blessés.
Après les avoir en GMC vers Oran embarqués, par Balloul il fallait avancer. Mais il restait deux bornes de piste à passer et là, des moutons sur notre chemin seront écrasés, puisque nous étions pressés, au grand dam du berger sans doute guetteur de l'ALN.

Une autre fois, par Maurice B.
Des appelés en deux GMC, en principe en toute sécurité, étaient en mission en pacification au pied de la montagne. Il était simplement question de ramener de là une population pour les faire venir dans un village reconstruit à leur intention. Mais, une embuscade nous attendait en guise de réception. Les fells protégeaient leur monde par leur caution. « Planquez-vous »,
dis-je aux appelés de mon GMC puisque j'étais le chauffeur, puis à fond sur l'accélération. Nous sortîmes de l'abîme où nous nous étions empêtrés et prîmes aussitôt position pour une riposte. Car pour s'en sortir, il fallait réagir rapidement.
Un rebelle, chef de bande sans doute, venait en notre direction en criant : « A l'assaut !» mais quelques rafales en en sa direction calmèrent la situation. Enfin, après de longues minutes de tirs, la compagnie arriva. Quelle pacification !

Histoires / péripéties de Maurice B.
J'étais en escadron de combat plusieurs fois par semaine; sans la radio, vingt personnes se déplaçaient. Nous allions tendre une embuscade à trois jours de la précédente, tôt le matin et sans parler, car il fallait toujours en ces cas-là être discret et surtout ne pas faire de bruit. Nous nous arrêtâmes près d'un piton car, comme aubade, résonnaient des paroles toute proches en arabe.
Un sergent s'avança d'une dizaine de mètres et aperçut des fells qui faisaient une pause. Alors, par gestes il nous fit comprendre son désir d'encercler et, quelques minutes après, de les attaquer. Au cri « à l'assaut », très leste, je me lève et fonce au sommet, tire au P.M sur les rebelles que je voyais à quelques mètres de moi. D'abord sur celui que je pensais être le chef de bande. Celui-ci tomba à deux reprises et resta sur la pente. Je changeai de chargeur et bondis à nouveau vers un taillis et fis prisonnier un déserteur, très surpris, un besoin urgent l'avait immobilisé. Il n'avait pas eu le temps de
se rhabiller !

Ce qui me fit aussitôt penser à un adage populaire breton :
« Gant ar c'hoant dimezin e c'heller ober tro ar bed, met gant ar c'hoant kac'hat ne c'heller ket. »
« Avec l'envie de se marier on peut faire le tour du monde mais avec l'envie de chier on ne peut pas. »

Cinq jours après, nous allions identifier le chef abattu. Le capitaine et le lieutenant voulaient connaître les faits. A cinquante hommes nous allions au lieu de l'accrochage. Le sergent donnait les ordres de marche. Nous respections nos distances heureusement ! Puisque, cette fois-ci, les fels nous attendaient, mais avec un F.M. Je me situais en troisième position.

Soudain, je ne sais pas pourquoi, un collègue entra brusquement dans un buisson. Avait-il aperçu un danger à l'horizon ? Je fonçais aussi vers lui et nous nous trouvions à quelques pas, d'un rebelle. Mon P.M était prêt, son arme s'enraya, quelle chance ! Je vidais un, puis deux chargeurs en sa direction. ça tirait de tous les bords. Le F.M des rebelles était en action et personne ne voulait lâcher prise, alors j'engageais un troisième chargeur et lançais une grenade. A cet âge nous courions
comme des lapins et nous grimpions promptement sur le piton. Nous perturbions le repas et le repos des fells. A l'approche des gamelles, je me fais allumer puis je reçus une balle à la cuisse gauche. Cependant, je me retournai promptement pour vider mon troisième chargeur vers celui qui me blessa avec son P.M. Ceci se passait près de Sétif.

Le bilan de la rencontre fut positif du point de vue militaire, puisque sept rebelles furent abattus et un seul Français blessé: c'était moi. Ma sacoche et les chargeurs aussi m'avaient protégé. Après quinze jours de soins, j'eus besoin d'un mois de repos puis je revins à la section.
 

Nos relations avec les colons.

Histoires / Péripéties de Claude. N. (rappelé en 1956)
Du djebel où nous résidions, nous déménagions souvent, selon les demandes, pour aller d'un piton à l'autre avec tous les matériels du Génie : les GMC, les half-tracks et les « bulls » vagabonds... Mais j'ai aussi travaillé et semé chez un colon. Je fus très bien reçu par la famille et le patron. Je connus un laps de temps de bonheur très profond. Ce fut mon petit coin de ciel bleu, tel un joyeux don. Je peux affirmer qu'il existe des colons très sympathiques, presque paternels. Il est vrai que nous les protégions des rebelles. Leurs biens étaient, en principe, en sécurité grâce à nos sentinelles. Mais ils se posaient tout de même beaucoup de questions sur leur avenir réel. Des idylles s'établissaient avec leurs filles. Personnellement je me suis posé la question de me marier, de rester, de m'installer avec l'une d'elles.

Cependant, des propos de certains colons me paraissaient grotesques, comme parlant du salaire des ouvriers: « le personnel n'avait pas besoin d'être payé », « ils vivaient comme des gens de la maison, » ( mais sans participation aux résultats, ni aux droits lors d'héritages ), « ces gens-là se contentaient d'une galette et d'olives pour subsister ! ». Ceci reflétait une certaine ignominie qui me semblait sombrer dans le burlesque.

Autre expérience de vie chez un colon, par Michel D.
Un colon refusait de nous donner de l'eau ! Par réaction nous mettions le feu à une meule de paille dans la cour. Cette dernière nous livra son secret par une surprise. En plus du feu de joie, ou de revanche, nous eûmes droit à un feu d'artifice puisque cette meule cachait des armes et des munitions. Aussitôt nous le questionnions et l'embarquions, d'abord pour Tizi-Ouzou, puis vers Alger où il est sommé de s'expliquer.
 

Les opérations

Histoires / Péripéties de Etienne D.
Au printemps cinquante-sept près de Saïda, nous fouillions un terrain couvert d'épais taillis. Nous eûmes la surprise de recevoir durant cinq minutes un feu nourri  venant du contrebas. Les balles sifflaient autour de nous et nous arrêtaient dans notre progression. Le temps de se planquer et quelques fractions de secondes pour réaliser et nous commencions à réagir. Le
sergent, près de moi, vit un fell et l'abattit. Les rebelles tiraient sur le T6 qui avait répondu à notre appel. Le pilote du T6 fut blessé et dut se replier.

Une autre fois, nous fûmes héliportés sur un piton de l'Ouarsenis. Suite au saut, nous réalisâmes une avancée en ligne pour nous positionner et étoffer le bouclage de la Légion dans ce maquis. Nous restâmes là, sous la pluie, plusieurs jours et plusieurs nuits. Nous étions trempés et transis, les pieds dans trente centimètres de boue. Nous grelottions, usés et démoralisés. Nous nous demandions bien ce que nous faisions là !

Histoires / Péripéties de Joseph P.
Issu du milieu agricole, je remarquai un pailler suspect au mois de novembre. En effet, la paille devait être noire, mais pas dorée en cette saison à cause de l'ardeur du soleil et du temps qui s'était écoulé depuis la moisson. Elle me paraissait même
fraîchement entassée, donc j'y mis le feu contre l'avis d'un gradé qui, furieux, m'incendia d'injures et obstiné parla de prison, de tours de garde, de corvées... ( Il ne voulait pas avoir d'ennui avec la population)
A peine avait-il fini de me fustiger, qu'éclata un feu d'artifice! La paille fut grillée. Mais dans ce pailler des munitions et des armes étaient cachées. Par la suite, beaucoup de paillers et de mechtas brûlèrent par l'hargneux capitaine. Il alluma différents feux avec son briquet, malgré les cris des fatmas désolées qui pleuraient et se lamentaient. Dans une cache, à la dernière maison incendiée, chauffaient des gens dissimulés. Ainsi, quinze fellaghas s'enfuirent afin de respirer et de ne point griller. Un harki les interpella mais, en toute logique, ces hors-la-loi n'obtempérèrent point, alors ils se trouvèrent sur la ligne de mire des appelés. C'est ainsi que ces rebelles, criblés de balles, cessèrent leur lutte armée.
 

Les mines

Histoires / péripéties de Arsène D.
Comme en bien des cas, plus récents ou plus anciens, notre véhicule sauta sur une mine. Nous étions revenus du massif de l'Ouarsenis à deux heures du matin et repartions à cinq heures vers les ravins, par Guelta, El Marsa. Nous avions eu si peu de repos que nous étions peu enclins à cette sortie. En cours de route, nous contournions un pont en ruine, qui avait déjà sauté.
Les trois premiers G.M.C. passèrent sans problème et au quatrième ce fut la casse. J'ai été durement projeté. Je n'avais rien vu. Tout s'était si vite passé ! Je me suis retrouvé dans le trou de mine, telle une masse. Par chance, il n'y avait pas d'embuscade tendue par les fells à ce moment précis. Je pris place dans une Jeep et l'on me dirigea vers une gendarmerie à Orléanville où je reçus les premiers soins.
La section eut trois morts et plusieurs blessés. Pour mon cas il fallait que j'aille à l'hôpital d'Alger où l'hélicoptère m'amena deux jours après. J'avais l'oeil recouvert de bandages, et diverses balafres jusqu'au menton, et la joue cisaillée. J'eus un mois de « convalescence »... puis, je retournais à la compagnie et participais encore aux diverses opérations.
 

Autres histoires

Histoires / péripéties de Michel D.
A la casbah d'Alger, nous avions « Carte blanche », pour agir puisque ce secteur était fortement suspect et très risqué. Nous vérifiions les identités et retenions les suspects? Une fois nous fûmes très surpris de voir de jeunes femmes musulmanes sortir de leur jupe une arme à feu et nous mitrailler.

A. Roulet, appelé du contingent  Février 1959 - Zérizer dans le Constantinois.
Extrait de mon journal d'A.F.N.
« Avec quatre soldats de ma compagnie, j'ai été détaché pendant trois jours dans une ferme près de Morritz, pour garder 36 fellaghas prisonniers.
Ils étaient assis dans la cour intérieure, les mains attachées derrière le dos. Parmi eux il y avait un gamin de 16 ans. Au milieu de la cour est un grand chaudron dans lequel ils viennent, lors des repas, puiser chacun leur tour un peu de soupe. Un sergent « pied-noir » arrive à moto qui entre dans un local jouxtant la cour. Un bon moment après on en verra sortir un homme, un fellagha, hébété et gémissant.
Ce jour-là et la nuit suivante, j'apprendrai ce qu'est la « gégène » et la folie des hommes.
Répondant à l'indignation d'un camarade, le sergent furieux, nous apprend que sa soeur et sa mère ont été égorgées par les «fellouses!».
Il ne faut cependant pas croire que les actes de tortures étaient toujours des actes de vengeance. L'armée admettait parfois qu'un prisonnier n'était pas qu'un ouvrier ou un paysan mais un fournisseur d'informations. L'officier de renseignement devait alors collecter de l'information et les recouper afin de connaître les emplacements ALN, le mouvement de troupes, qui les commande, leur armement, s'ils ont des parents dans le village ou à proximité .
 

La fin de la guerre

Histoires / péripéties de Marcel T. Printemps 1962
Une des dernières missions fut de déverser, du haut des falaises, à la mer des tonnes de matériels électroniques, certains encore neufs, des tourets de câbles.... Il ne s'agissait pas de les ramener en France. Il y avait encore assez de travail avec les gros matériels et les soldats à rapatrier. Ce fut même un moment de surchauffe au niveau de la logistique. Disons c'était le bordel.

Histoires / Péripéties de Louis C.
« Après le cessez-le-feu, à la frontière tunisienne, nous menions des actions destructions. Au canon, devenu rouge par des tirs, les blockhaus sautèrent, les munitions arrivaient par camions entiers. Par ailleurs, des vestes matelassées, des peaux de moutons par centaines, arrosées d'essence, brûlèrent. Nous devions éliminer tous les stocks avant notre départ. Il fallait alléger au maximum le convoi du retour. Par ailleurs, il était inutile de laisser des trophées de guerre à l'ALN. Ainsi, dès que l'heure du repli sonna, il arrivait que l'armée détruisit ses divers stocks pour faciliter le retour en métropole : munitions, vestimentaire, équipements et installations tels aussi beaucoup de tourets de câbles et de matériels électroniques afin qu'ils n'aillent point entre les mains du F.L.N. »
« Un dimanche matin, après les accords du cessez-le-feu, la compagnie fut encerclée par les soldats de l'ALN. Nous aurions déjà dû, paraît-il, quitter les lieux. De plus, nous ne recevions aucun courrier depuis quinze jours et vivions sur nos provisions mais il ne restait plus rien! Nous fûmes ainsi cernés cinq jours durant, les chefs parlementaient. En fin de compte, Le F.L.N. nous laissa une heure pour décamper ».

Histoires / Péripéties de Michel D.
Vers la fin de mon séjour; après quatre jours de crapahut et un djounoud à arme blanche combattu, le capitaine voulait que je retourne aussitôt en opération ! Mais désormais je refusais de prendre ces risques. Alors, furieux je le braquais avec mon pistolet pour bien montrer mon désaccord. Effectivement, je n'allais pas en opération mais je passais au tribunal militaire et mon grade fut ôté.

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